Halte !

Mes chers concitoyens. Excusez-moi : mes chers amis ! Vous me connaissez, vous m’avez élu ; je ne fais pas partie de cette population rampante et avide de pouvoir abusif que sont les démagogues. Je suis votre père, votre frère, votre mari. Je suis votre collègue de travail, votre compagnon de soirée, un inconnu qui vous salue dans la rue. Mes amis ! Je voudrais aborder avec vous aujourd’hui un fléau qui menace nos bonnes mœurs.

Les chaussettes en sandalettes.

 

Vous en avez sûrement déjà croisé dans la rue, au détour d’une promenade, à la terrasse d’un café. Vous n’y avez tout d’abord pas prêté attention et puis, inexorablement, votre œil s’est trouvé attiré par une telle insulte au paysage. Comme obnubilés par cette horreur suprême, vous n’avez pas réussi à vous en détacher et encore maintenant cette image de cauchemar vous hante à jamais. Je suis là avec vous aujourd’hui pour y remédier pour l’éternité et protéger nos enfants et leur innocence. Mes amis ! Nous devons dès maintenant agir et c’est pourquoi je vous propose de voter une motion contre le port abusif de chaussettes en sandalettes.

 

Mais je vois déjà venir la réponse de l’opposition qui n’en a cure de votre bien-être : ce serait de la discrimination ! Une atteinte aux droits fondamentaux sur lesquels repose notre bien aimé pays de liberté absolue. Certes, mais la notion de liberté impose des limites et celle du droit entraîne invariablement des devoirs ; devoirs auxquels nous nous soumettons tous !

En effet, mes chers amis, vous vous levez tous tous les jours pour aller gagner l’argent auquel vous avez le droit en travaillant consciencieusement, vous profitez tous d’un repos silencieux le dimanche à la condition de ne pas vous-même effectuer de tâches bruyantes et ainsi empiéter la liberté de vos voisins ; alors de quel droit les porteurs de chaussettes en sandalettes auraient-ils la liberté d’empiéter la nôtre ? Il est de notre devoir de mettre fin à leurs us vestimentaires qui sont pareils à un marteau-piqueur s’acharnant sur une plaque d’égout à quatre heures du matin !

 

Penchons-nous ensemble sur le problème de cette discrimination ; en réalité, mes chers amis, cette discrimination est en ce moment même inversée, faussement « positive » - comment le port d’une telle horreur pourrait être considérée comme positive ? - ! Réfléchissez-y avec moi : en ce moment même, le port de chaussettes en sandalettes est défendu par l’opposition comme étant « un droit élémentaire dans une république ». Mais bientôt, les adeptes de cette pratique deviendront de plus en plus nombreux, puisqu’ils auront le droit pour eux ! De plus en plus nombreux et donc de plus en plus puissants ; et bientôt, mes chers amis, je vous le prédis : ce sera à nous d’être honteux car nous ne porterons pas de chaussettes dans nos sandalettes.

Accepterez-vous un tel état de terreur pour vos enfants ?

 

Enfin, mes amis, regardons la vérité en face : n’est-ce pas joli, un pied nu dans une paire de sandales ? Même dévoilé par de vulgaires tongs ! Le pied, partie la plus noble du corps de l’être humain, responsable de notre station debout, cette capacité qui nous différencie de l’animal bien plus que l’intelligence et nous a permis de nous élever si haut dans la culture ! Pour être hideusement rabaissés par ces intruses qui camouflent la beauté majestueuse et naturelle de ce membre si peu valorisé en temps ordinaire ? Libérons ensembles nos pieds ! Laissons respirer nos orteils hors de ces insultes à la sensibilité et remisons les chaussettes aux chaussures fermées !

 

Mes chers concitoyens, mes chers amis, vous madame endormie au fond et même vous, le porteur de chaussettes en sandalettes venu écouter mon discours pour mieux le dénigrer par la suite : il n’est pas trop tard. Ensemble, nous pouvons encore agir.

Ensemble, nous sommes forts et capables de construire un avenir libre de chaussettes en sandalettes pour nos enfants ingénus.

Il vous suffit de voter favorablement à la motion que je vous ai proposée pour l’interdiction du port de chaussettes en sandalettes.

 

Rendons tous ensemble le monde meilleur.

 

~Bezuth