L'autre gars

« Tout s’est passé dans ma chambre. Enfin… mon appartement, quoi. Une sorte de petit cabanon isolé dans la jungle urbaine.

Un cube de côté indécent, contenant un lit minuscule, une cuisine, un semblant de bureau d’écolier, un vieux clic-clac fatigué ayant mal vécu la guerre entre mes parents, un poste de télévision datant de l’époque où le cathodique était à la mode… ajoutez au tout une déco pour le moins dire horrible et vous aurez une assez bonne idée de ma « chambre » d’étudiant de l’époque.

Je me plains, mais j’avais quand même inclus dans le loyer exorbitant un petit placard aménagé en salle de bains. Un no man’s land personnel idéal pour quand mon voisin se mettait à la cuisine ou la guitare. Je ne critique rien ! Moi aussi j’avais une guitare et quand j’avais le temps d’y toucher un peu, ça me détendait et je comprends parfaitement qu’il en jouait à longueur de journée. Juste parfois, on en a marre de tout ; on aimerait bien se noyer sous la douche.

Je sais pas si vous avez essayé, mais c’est franchement pas simple.

Enfin. Là n’est pas le sujet.

- Ça avait l’air pourri…

- Tu la veux, cette histoire ?

- Oui, papa… »

Je contemplai un instant les jumeaux affalés sur le canapé que leur mère comme moi-même ne parvenions pas à distinguer. Je soupirai, aussi léger qu’une brise de printemps, et repris.

 

« Le truc assez cool quand même dans mon appart’, c’était la grande fenêtre donnant sur la rue. C’était un ancien magasin, avant. Du coup je travaillais en face de gens battant le pavé erratiquement, les écouteurs à l’oreille, maquant de cette façon plusieurs vies parallèles qui les auraient conduits à rencontrer l’âme sœur, ou juste un superbe coup d’un soir.

- C’est quoi un coup d’un soir ?

- Tu demanderas à ta mère. Elle s’y connaissait. »

C’est numéro deux qui a ouvert son bec. Enfin, l’autre quoi.

 

« Elle m’a téléphoné, un soir, affolée.

« Il faut absolument que tu m’aides, s’il-te-plait… J’ai besoin qu’on m’héberge deux-trois jours. »

Entendre sa voix m’a électrifié. Comprendre ses paroles a fait naître une boule d’excitation dans mon ventre. J’ai dit oui, sans hésiter. Sans savoir pourquoi, pour qui ; je lui ai donné l’adresse, elle a raccroché avec un « à tout de suite » pressant et je me suis mis à ranger mon foutoir, avant que les ailes me poussant dans le dos ne m’envoient au plafond sous l’action d’une bouffée d’enthousiasme, le plus mortel des courants ascendants.

- C’était maman ?

- Peut-être… Quel est l’intérêt si je te le dis tout de suite ? »

Un silence. Ils attendent la suite.

 

« Quand elle a débarqué, tous mes souvenirs sont remontés d’un coup. Elle n’avait pas changé… Des cheveux toujours emmêlés, de grands yeux effrayés, des lèvres effacées souvent entrouvertes, de longs cils transparents battant ses pommettes au rythme de son cœur… et une tenue du noir le plus sombre.

- Ah ! Pas de doute ! C’est maman ! elle est toujours en noir encore maintenant ! »

Je l’ai pensé, mais je ne l’ai pas dit.

« Pas pour la même raison, mon fils… »

Leur grand sourire réjoui me donne envie de pleurer.

 

« Bref. Elle me dit à peine bonjour, éclata en larmes. Je l’ai entraînée dans mon cube de vie qui ressemblait à un croisement entre « Tetris » et le « Rubik’s cube » et la pris dans mes bras, comme j’avais toujours rêvé de le faire avant. Je savais qu’il ne fallait pas poser de question, ni espérer quoi que ce soit. Elle avait toujours été un animal aux abois et je ne voulais pas la pousser à s’enfuir à nouveau.

On est restés là tous les deux au moins une bonne heure, elle pleurait et moi…

- Tu l’as embrassée ? »

Je souris face à son air ingénu.

« Non. Comme je l’ai dit, je ne voulais…

- Pff. T’es nul. Faut toujours embrasser une fille qui pleure.

- Oui ? »

Le deuxième lève le doigt, l’ai concentré.

« C’est quoi Tetris ? »

 

« J’ai pas pu faire le double des clefs tout de suite. Donc on s’arrangeait pour partir et rentrer plus ou moins en même temps. Le truc, c’est que moi j’allais en cours, tandis qu’elle avait quitté son école. Du moins était-ce que j’avais compris de ses sanglots étranglés.

Elle ne devait pas sortir. Pourtant, lorsque je suis arrivé devant la porte et que je l’ai appelée pour qu’elle vienne me chercher…

Le portable sonnait dans le vide et je suis resté quatre heures sous la pluie, à deux doigts d’enfoncer la porte.

- Pourquoi tu l’as pas fait ? »

Je jette un coup d’œil sévère à ma portée et les jumeaux font semblant de se ratatiner dans le canapé.

 

« Elle est rentrée, totalement jetée. Je ne sais pas comme elle a fait pour se déplacer du bar à l’appart, en rampant, peut-être. J’ai dû la porter pour rentrer. Elle était encore plus grise que la petite souris à laquelle elle m’a toujours fait penser. Je l’ai quasiment jetée sur le lit, à bout de souffle.

Elle m’a embrassé. »

Les jumeaux me fixent, avec de grands yeux ronds.

 

« Le lendemain, elle avait dessaoulé. Je commençais à midi mais j’avais pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Trop de questions dans la tête, vous avez de la chance de pas vous en posez, vous. Parce que ça tourne, et ça produit tellement d’énergie que vous êtes tétanisé, vous voulez tout faire mais vous n’y pouvez rien, parce que le monde tourne sans vous, vous êtes immobilisé sous le poids de vos questions.

Elle s’est assise sur le bord du canapé. Je lui avais laissé mon lit…

« Ecoute… »

Je pense que je devais avoir des yeux pleins d’espoir, elle a arrêté de me regarder et a fixé ses mains.

« Hier soir… il faut oublier. Il ne s’est rien passé. »

J’ai étouffé la boule dans ma gorge et j’ai répondu, pas aussi fort que je le voulais.

« Ouais. »

Elle a relevé les yeux précipitamment, petit animal sauvage poursuivit par le chasseur de Blanche-Neige.

« C’est pas contre toi ! C’est juste que…

- Il y a un autre gars. »

Son regard s’apaisa, elle cessa de tordre ses mains.

« C’est ça. Il y a l’autre gars. »

Le lendemain…

- Maman nous l’a dit. »

C’est numéro deux qui m’a interrompu. Il me regarde comme si j’étais un objet d’étude. Je l’enverrai en scientifique celui-là. L’autre est plus casse-cou. Ce sera Griffondor.

« Tout était silencieux, papa. Et maman n’arrivait pas à dormir, ça l’oppressait. Alors elle a voulu se passer un coup d’eau sur le visage. Mais juste avant d’ouvrir la porte, elle t’a entendu. »

Je soupirai, confus.

« Elle ne me l’a jamais dit.

- A nous, elle nous l’a dit. Elle nous a dit que c’est en t’entendant pleurer qu’elle est tombée amoureuse de toi. »

Je flotte, hésitant à reprendre.

Puis le deuxième, le sage et posé numéro deux, m’invite d’un sourire à finir mon histoire.

 

« Le lendemain, on a repris nos petites activités. Elle à ne rien faire dans mon appartement et moi à aller en cours.

Et encore.

Et encore.

Puis je suis tombé sur une de ses toiles. Elles les planquaient sous le matelas. Manque de bol, à l’époque je changeais souvent les draps.

- Une toile ?

- Oui. Votre mère peignait, avant. Magnifiquement bien. Tristement bien.

- Tristement ?

- C’était noir, plus obscur qu’une nuit sans lune perdu dans une forêt. C’était sa vie.

- A table ! »

Débandade des troupes, je reprendrai mon histoire plus tard.

 

« Je l’attendais de pied ferme, chacun de ses tableaux étalés devant moi comme le puzzle de sa vie. Elle est entrée, a verrouillé la porte. Les a vus.

A tenté de ressortir.

Je l’ai serré contre moi. J’ai chuchoté des mots apaisants dans son oreille, comme à un cheval apeuré prêt à ruer. Elle se cabra.

« Tu n’est pas obligée d’expliquer. »

Elle ne l’a pas fait.

Je ne dormis pas de la nuit, comme à chaque fois depuis ce soit où elle m’embrassa. Je la surveillais. Je ne voulais pas qu’elle s’estompe dans l’obscurité, comme un rêve qui fuirait l’aurore de sa vie.

Mais elle a dormi paisiblement, jusqu’à ce que mon réveil sonne. Elle a ouvert ses yeux pile dans les miens. Pas de bonjour. Pas de petit déjeuner. Elle m’entraîna en un clin d’œil dans une ruelle délimitée par des masures toutes plus misérables les unes que les autres.

Elle s’arrêta devant un numéro bien précis et m’attendit, comme un chien de chasse à l’arrêt, le regard en planque sous une mèche que le vent avait plaqué sur son visage. Je suis rentré dans ce qui semblait un magasin minable, sombre et crade. Il n’y avait personne, aussi poursuivis-je vers l’arrière-boutique.

Là, je fus ébahi. »

Je m’arrête un court instant. Aussitôt les jumeaux trépignent.

« La suite !! »

Ils me manquent.

 

« C’étaient des tableaux. Un nombre inimaginable de tableaux, colorés, pleins de vie, de sourires de lumière… Et un noir, si noir qu’il vous mettait l’âme à l’envers et vous demandait ce que vous foutiez ici, vous, pauvres mortels. Le nom était le même, à chaque fois. Le marchand…

- C’était quoi le nom ?

- Demandez à votre mère. Peut-être qu’elle ne veut pas que vous le sachiez.

- Mais si elle ne nous le dit pas, tu diras ? »

Encore une pensée silencieuse qui ne franchit pas mes lèvres de marbre.

« Si j’ai le temps. »

 

« Le marchand est apparu derrière moi. Je lui ai demandé le prix et il fit la moue en réponse.

« Ça dépend, lequel ? »

Je laissai mon regard errer dans la petite salle d’exposition et m’arrêtai sur un autoportrait souriant et si différent de celle que j’avais toujours connu…

Je le désignai du doigt et le rictus du vendeur se transforma en paisible sourire au fur et à mesure qu’il détaillait la peinture.

« C’est la meilleure, je trouve. C’est le seul qui exprime autant ce sentiment de bonheur absolu. Je pense que c’est la muse de l’artiste, mais on ne la voit nulle part ailleurs… »

Je m’étais retenu de le contredire, de lui dire que je connaissais l’auteur, sans comprendre pourquoi. Encore un secret, il était mon devoir de ne pas le percer à jour, même à cause du hasard. Ma nouvelle vie de colocation s’accompagnait d’une vigilance constante.

« Je trouve ça vraiment dommage…

- Quoi donc ?

-Le peintre ne veut pas les vendre plus cher qu’il n’est nécessaire au rachat du matériel de base. Il pourrait devenir célèbre avec ça. Si seulement il les vendait à un prix correct… »

Je suis sorti avec un grand sourire tandis qu’elle me considérait d’un œil suspect.

« Qu’est-ce que tu as fait ?

- Tu aurais dû venir ! »

Je la serrai dans mes bras avant qu’elle ne réagisse, sous le regard circonspect du vendeur.

« J’ai faim ! Ça te dit, un resto’ ?

- A onze heures du matin ?

- Soyons fous !

- A onze heures ! Tu n’arrêtes pas de nous raconter qu’il ne faut pas manger entre les repas !

- Mais on a fait un repas ! Ça s’appelle un brunch ! »

Numéro un ne me croit pas et continue à me jeter de petits regards réprobateurs.

Le deuxième a l’air troublé, il ne cesse de porter ses yeux sur moi et à côté, toutes les deux minutes.

« Papa… Je te vois flou.

- Il faudra dire à maman de t’amener chez l’ophtalmologue.

-  Non… Il n’y a que toi qui es flou… »

Je souris mais mon cœur panique.

 

« Nous avons passé une journée merveilleuse. Et lorsque nous sommes rentrés, le tableau avait été livré, tout bien camouflé dans son emballage de kraft protecteur.

Elle se jeta sur le lit, riant aux éclats, tandis que je verrouillais la porte.

« J’ai passé une superbe journée !

- Encore heureux ! J’ai séché les cours pour toi ! »

Je me retournai et fus comme poignardé par cet abandon divin qui était le sien.

 A un détail près, elle était touche de couleur pour touche de peinture le portrait craché de son tableau. Une merveille.

« Qu’est-ce que c’est ? »

J’avais totalement oublié mon paquet.

« C’est pour toi. »

Impatiente comme une gamine mais posée comme une femme, elle défit consciencieusement l’emballage, sans rien déchirer. Elle se figea sous son propre regard.

Le silence me fit mal.

« Si tu n’en veux pas…

- Tais-toi. »

Le lourd blanc pesait comme un boulet m’envoyait par le fond sur mon cœur aussi lourd qu’un soleil sur le déclin. Elle a lentement repoussé le tableau sur le lit. Puis elle s’est jetée dans mes bras.

- Et l’autre gars ? »

Le premier a un air interloqué comique, un sourcil levé et l’autre abaissé.

J’acquiesce, inquiété tout de même par le silence de numéro deux.

« C’est ce que je lui ai dit.

« Et l’autre gars ? »

J’aurais pas dû, elle m’a lâché tout de suite, toute rougissante, et n’a plus voulu m’approcher pendant une semaine. »

Je stoppe face aux yeux voilés de larmes du deuxième, brume salée qui coule dans mon âme. J’ai tellement envie de serrer les jumeaux dans mes bras.

 

« J’étais affalé dans le canapé et elle était sortie acheter du matériel. C’était bientôt mes examens et je m’abrutissais devant la télé au lieu de réviser, je sais pas pourquoi, me demandez pas.

Elle est rentrée, s’est assise à côté de moi, posée sur mon bras. J’ai éteins le poste et j’ai enfin posé la question qui faisait éolienne et turbine de pensées dans ma tête.

« Pourquoi c’est chez moi que tu es venue vivre, et pas chez l’autre gars ? »

Elle tenta de s’enfuir mais mon bras passé autour de sa taille la retint. Elle paniqua, papillon posé sur le liège qui sent se pointer l’épingle, lapin reconnaissant l’œil noir du fusil et du chasseur, insecte dans la toile de soie d’araignée.

« Qui est cet autre gars ? »

Silence buté, je soupirai face à cette énigme que j’avais cru saisir et qui glissait à nouveau de mon esprit comme une savonnette.

Je la relâchai, mais sous le choc de cette libération soudaine elle se laissa retomber dans mes bras, alors que je voulais me lever pour échapper à cette frustration permanente qui avait toqué à ma porte un milieu d’après-midi, en pleurs et avec des souvenirs plein les larmes.

- Papa ? Je veux un câlin ?

- Quand j’aurai fini mon histoire. »

Ses grands yeux d’espoir suppliant me font mal.

 

« Le lendemain, j’ai retrouvé cette toile si magnifique où elle souriait lacérée, déchiquetée comme sous l’acte d’une bête féroce ou d’une divinité égyptienne invoquée dans un moment de colère stupide. Détruit, ce tableau que j’aimais tant.

Je ne lui en ai pas parlé.

Par contre, au soir, je me suis planqué assez loin d’elle pour ne pas qu’elle fuie à ma vue, et j’ai attaqué.

« Tu devais rester quelques jours. Ça fait trois mois qu’on vit ensembles maintenant. Qu’est-ce qu’il se passe. »

Je n’avais même pas l’impression qu’elle m’ait entendu. »

Je stoppe. Numéro deux pleure silencieusement. Je ne peux même pas le consoler.

 

« Elle maigrissait à vue d’œil, comme si elle avait été de la pâte à modeler et qu’un enfant jaloux de ses formes lui volait chaque jour une pincée d’elle pour montrer que son boudin était bien plus joli. Un cours avait été annulé. Je suis rentré en avance.

Elle dessinait avec concentration sur son avant bras, peignant des lignes de sang à grands traits sur la toile vierge de sa peau blanche.

Je la giflai. La lame de rasoir traversa la pièce, bien loin de sa santé fragile, si délicate. J’ai nettoyé et bandé ses bras, en silence.

J’ai préparé le repas.

Mis la table.

Fixé la marque rouge de ma main sur sa joue qui s’étendait. C’est horrible à dire mais j’espérais à ce moment précis qu’elle avait presque autant mal que moi. Parce que cette lame de rasoir qui courait sur sa peau s’était enfoncée dans mon cœur avec autant de violence qu’un retour à la réalité à la sortie d’un rêve doux.

La soirée se déroula sous le joug du silence, un silence lourd, complet, qui se suffisait à lui-même. »

Je m’arrête un instant. Je suis surpris que les jumeaux ne m’interrompent plus.

 

« Puis dans le noir, j’ai osé poser ma question. Car elle n’aurait pas vu mes yeux plein de colère et de larmes.

« Où est passé l’autre gars ? »

Elle n’a pas répondu, pourtant je savais qu’elle ne dormait pas. J’ai attendu une heure, deux. Les événements tournaient encore plus vite dans ma tête que les questions. Et je me sentais paralysé, presque à en mourir.

Elle a allumé la lampe de chevet. Evanescente, elle est venue s’assoir sur le canapé déplié, au niveau de mes jambes. Je me redressai pour faire face à ce fantôme assis en tailleur sur le bord de mon lit. Elle était belle, si fragile, si sombre et tellement illuminée.

« J’étais bien. Je réussissais à la fac. J’étais bien dans mes cours. J’avais hâte de passer mes partiels. Et puis mon esprit s’est vidé. Plus rien. Je ne pouvais plus rien lire, plus rien écrire. Je ne me souviens même pas de ton nom… »

Elle s’était enfin débarrassée de ce que je voyais traîner derrière elle depuis une douzaine de semaines. Je souris et mon sourire se refléta dans ses yeux.

Perdue dans son tee-shirt blanc trop grand, elle me semblait parfaite. Encore plus que cette fille figée sur le tableau. Je n’ai rien dit, pas commenté, pas questionné. J’étais heureux qu’elle soit enfin libérée.

Et puis, au bout d’un moment de calme qui me semblait à la fois éphémère et éternité, elle m’embrassa à nouveau.

Moi, stupide, je protestai.

« Et l’autre gars ? »

Cette fois-ci elle ne me lâcha pas et je sentis son sourire contre ma joue.

« J’ai menti. » »

 

Mon auditoire reste muet, puis revient à la vie, petites statues que le « roi du silence » ne peut contrôler plus d’une minute.

Il a séché ses yeux de l’angoisse que je lui inspirais mais la panique dans son regard est toujours présente.

« Tu m’as promis…

A qui vous parlez, les enfants ? »

Leur visage se tourne à travers moi vers leur mère, splendide apparition drapée de noir.

Numéro un répond, excité.

« C’est papa ! Il nous raconte votre rencontre ! »

Le deuxième se tait, grave et triste. Leur mère blanchit brusquement mais se contrôle, reprend d’une voix si calme que moi seul y perçois la fêlure qui s’y camoufle.

« C’est l’heure d’aller au lit, les garçons. »

Ruade dans les escaliers jusqu’à la chambre. La porte claque. Petite tête hésitante qui émerge en haut du palier.

« Maman ? Tu… tu viendras nous border ? »

Elle se retourne, sourit à notre numéro deux si paisible et effrayé, si sensible, hoche la tête. Il disparait et la porte claque à nouveau.

Ses yeux se baladent dans toute la pièce, sans jamais se poser sur moi.

« Tu es là ? »

Sa voix hésitante semble prête à pleurer. Je m’approche et pose la main sur son épaule, faisant attention à ne pas la traverser.

« Tu me manques. »

J’ai tellement envie de lui dire qu’à moi aussi, elle me manque, que c’est pour cela que je suis encore là, à traîner là où n’est pas ma place, que je l’aime, que je suis tellement désolé…

Mais il n’y a que les enfants qui peuvent m’entendre.

Parce qu’ils savent que l’impossible, si on y croit, est réalisable.

Elle est aux abois, elle me cherche.

Elle ne me trouvera jamais.

Alors je l’embrasse.

Et je lâche tout.

 

~Bezuth

Date de dernière mise à jour : 28/10/2016