La Grotte aux Rêves Bleus

« Attends-moi ! »

Elle n’écouta pas Gabriel et s’élança seule dans le bassin, le distançant aisément. Gabriel n’avait jamais trop aimé l’eau et elle était une excellente nageuse : il ne pouvait pas la rattraper. Elle filait seule entre deux eaux, comme lorsqu’elle jouait dans le lac, enfant… Son corps se crispa entièrement et elle manqua de couler à pic. A trois brasses d’elle se tenait de dos un homme qu’elle pensait connaître. Un gamin disparu dans les limbes de sa mémoire. Il se retourna, son éternel rictus de souffrance moqueuse accroché aux lèvres.

« Daniel ? »

Elle s’étruqua et, incapable de se calmer, sombra.

 

Le blanc la cernait et cela lui faisait presque mal aux yeux. Elle avait beau dire qu’elle se sentait bien, on ne voulait pas la laisser sortir. « Le médecin doit vous autoriser à sortir, mademoiselle. » Même Gabriel ne voulait pas l’aider.

« Tu t’es mise à convulser. Je ne veux pas te faire sortir avant qu’un médecin soit d’accord.

- Je n’ai pas convulsé, voyons ! Signe cette décharge. J’ai juste été surprise par… un souvenir.

- Tu étais en train de te noyer à cause de ces convulsions. Je sais ce que j’ai vu. »

Quand il se butait comme ça, il ne servait à rien d’essayer de le raisonner. Elle abandonna la conversation et se mura dans un mutisme boudeur.

 

« Vous avez été diagnostiquée épileptique depuis quand, mademoiselle ?

- T’es épileptique ? Et tu me l’avais jamais dit ? »

Elle se tourna pesamment dans son lit. Si le toubib s’y mettait…

« C’est marqué dans mon dossier médical, si vous voulez le savoir. Puis d’ailleurs, c’est fini. C’était rien qu’une… période mouvementée.

- Mademoiselle… »

Elle se retourna cette fois-ci vers le médecin qui baissa ses fiches pour la regarder. Et elle hurla.

Il était là. Il venait la chercher. Elle devait courir, encore, courir plus vite que le tueur.

 

Elle avait enfin le droit de rentrer chez elle. Les soins qu’on lui avait prodigués l’avait un peu assommée mais le calmant avait été nécessaire. Elle ne savait vraiment pas ce qu’il lui avait pris de confondre le soignant avec un assassin… C’était idiot.

Elle repoussa Gabriel qui voulait rester avec elle, sûrement pour la surveiller, et verrouilla sa porte avant de s’affaler dans son lit même pas refait.

Une présence l’empêcha de s’endormir et elle entrouvrit un œil usé par cette journée difficile à supporter sans criser.

Daniel était assis juste à côté d’elle. Elle sursauta et tomba en arrière, le sol l’assoupissant aussi sûrement que les somnifères qu’on lui avait prescrits « au cas où ».

 

Elle se réveilla sur son lit la bouche pâteuse et pleine d’un goût cuivré écœurant.

Il se tenait enveloppé d’une aura d’argent dans la berceuse Louis XIII, à côté de la fenêtre de sa chambre.

« Toi et moi… On sait très bien pourquoi tu me vois partout, pas vrai ?

- Ta gueule. »

Elle lui lança un coussin qu’il esquiva adroitement avant d’éclater d’un rire innocent.

Mais cela ne le fit pas disparaître pour autant et il se leva pour s’étirer.

« Ma pauvre, regarde-toi, tu es pathétique. Tes ongles sont noirs, ton vernis part en plaques, tes cheveux sont pitoyables… »

Elle le regarda haineusement tout en se retenant pour ne pas courir vers un miroir.

« Qu’est-ce que tu me veux, Daniel ? »

Il se tourna vers le carreau, semblant observer la courette extérieure.

« Tu ne ressemble pas à ce que tu étais avant, Milia. Où est partie la petite fleur fraîche qui n’avait pas besoin de maquillage pour faire chavirer mon cœur ? »

Il revint doucement s’assoir à ses côtes sur le lit. D’un air critique, il souleva quelques unes de ses mèches blond platine.

« En plus tu te colores les cheveux ? Ça te sied moins que ta couleur naturelle.

- C’est pour me faire des reproches que tu es venu, Daniel ? »

Il la fixa en silence quelques instants de ses yeux verts.

« Tu le sais beaucoup mieux que moi, Milia. »

 

Le soleil caressa délicatement du bout de ses nombreux pinceaux de lumière son visage et la réveilla. Toutes ses couvertures et ses oreillers étaient au sol. Daniel avait disparu, la porte était toujours fermée à clef. Elle consulta son portable. Une vingtaine de sms et trois appels manqués. Tout ça rien que de Gabriel. Sa mère n’en avait cure apparemment.

Elle le rappela alors qu’elle faisait chauffer de l’eau pour le thé.

« Mais qu’est-ce que tu foutais ?

- C’est rien, c’est les somnifères. Je viens juste de me réveiller.

- Ça fait une journée que j’essaie de te joindre ! Mon ange… Ne me mens pas, s’il te plait, je veux juste faire attention à toi, à nous, si tu es malade… »

Elle raccrocha et lança le portable à l’autre bout de la pièce où résonna un bruit de verre brisé.

« Il a raison, tu sais ? Il veut juste prendre soin de toi, comme moi.

- Sors de ma tête ! »

Il haussa un sourcil hautain.

« Il faudrait peut-être que j’y sois pour en sortir, non ? »

La bouilloire se mit à siffler

« Tu es mort !

- Tu veux vraiment voir à quoi je devrais ressembler si j’étais mort ? »

Aussitôt qu’il prononça ces mots, des morceaux de sa chair se corrompirent et se détachèrent de son visage, laissant paraître les os, tandis que quelques unes de ses phalanges tombaient avec un son humide sur le tapis.

« Arrête ça ! »

Il reprit son apparence normale.

« Tu aurais voulu que je sois mort. Mais je ne le suis pas. Tu le veux et c’est pour ça que je suis là. Tu sais que je ne suis pas mort et tu culpabilises. Parce que tu m’as abandonné. »

Le bouchon de la bouilloire tomba au sol et lui brûla la joue, alors qu’elle se réveillait encore une fois par terre.

 

Elle était assise, ruminant devant sa tasse. Elle avait peur d’appeler l’hôpital, peur de se lever, peur même de prendre sa tasse dans les mains ; que se passerait-il si elle avait une nouvelle crise ?

Elle se félicita de n’avoir rien fait en voyant Daniel s’assoir sur le bord de sa table de cuisine.

« Pourquoi maintenant ? Pourquoi fais-tu cela aujourd’hui ?

- Il le sait aussi. Il s’en est rendu compte. Cours, vole petite fleur. Vole comme le papillon que j’ai été. Trouve-moi en premier ! »

Depuis quand était-elle épileptique ?

Depuis toute jeune déjà. Elle avait des hallucinations… particulières. Elle voyait un tueur qui la poursuivait. C’est ridicule. Et maintenant, Daniel, un de ses anciens amis, un souvenir mangé par les mites de son cerveau qui se remettait à convulser alors qu’il avait arrêté suite à l’administration intensive de drogues.

« Nous… Nous savons que c’est vrai, n’est-ce pas ? C’est pour cela qu’il faut que tu me retrouves. Tu leur montreras que tu n’es pas folle. »

 

Elle patienta sur le palier du petit pavillon, vaguement nerveuse. Quinze ans après… Daniel avait-il raison ? Avait-elle tant changé que cela ?

La porte s’ouvrit et après un temps d’arrêt, elle se referma brutalement sur son pied qu’elle avait pris la précaution d’avancer.

« Madame Rolland ! J’ai besoin de vous parler !

- Et moi je ne le veux pas, Milia ! Je n’ai pas besoin de toi !

- S’il vous plait, c’est au sujet de Daniel…

- Bien sûr que c’est au sujet de Daniel ! De quoi d’autre voudrais-tu me parler ? »

Le battant s’ouvrit sur le visage ironique de la mère de Daniel.

 

Elle sortit en courant, les larmes aux yeux. Madame Rolland la suivit jusqu’au palier.

« A quoi t’attendais-tu en venant ici ? C’est de ta faute, entièrement ta faute s’il est mort !

- Je ne suis pas mort. »

Madame Rolland claqua la porte brutalement. Daniel semblait désemparé.

« Elle ne t’a pas entendu.

- Non, elle ne m’a pas écouté, c’est différent. Maman a toujours eu du mal à écouter les autres. La preuve, elle t’a fait pleurer. Elle n’aurait jamais pu le faire avant, tu souriais en continu et personne ne pouvait effacer ce sourire qui montrait tes dents si blanches. Ce sourire, je crois que je m’en souviendrai toute ma vie ! Comme la grotte aux rêves bleus, aux rêves qu’on faisait tous les deux. »

Ils restèrent un instant silencieux, contemplant tous les deux la porte close du petit pavillon de banlieue où la mère de Daniel avait emménagé après sa disparition.

« Pourquoi n’es-tu pas rentré ?

- Je ne sais pas. Il y a une bonne raison. Je ne sais plus. »

 

Elle souleva un rideau. La jeune pimbêche décolorée responsable de la perte de son enfant n’était toujours pas partie. Venir quinze ans après, pour lui dire qu’il était toujours en vie… Ils l’avaient cherché, partout, dans tous les coins de ce foutu lac où les gosses du coin avaient l’habitude de passer leurs journées d’été, mais aucun petit corps n’avait été trouvé, pas de Daniel, plus de Daniel, enfant chéri si sérieux pour son âge… Trop peut-être. Elle aurait dû  lui interdire de jouer avec l’épileptique, on avait retrouvé la gamine complètement scharbée à l’orée d’un chemin de forêt mais pas son Daniel. Dire qu’il prenait soin d’elle ! Il s’en occupait mieux que sa propre mère, toujours trop débordée pour se rappeler qu’elle avait une fille ! Et maintenant, la gamine de presque trente revenait la narguer de toute sa belle jeunesse volée à Daniel… Tout était de sa faute, elle aurait dû lui interdire de jouer avec elle. Mais alors, qui l’aurait fait ? Personne ne voulait approcher la folle à l’époque, personne sauf son petit ange gardien mort pour cette fille…

Elle essuya du dos de la main la buée qui voilait son regard et s’aperçut que Milia avait enfin disparu. Elle la laissait à nouveau tranquille… Elle ouvrit la porte, par acquis de conscience.

Milia était en train de convulser dans son jardin.

Sa main vola tel un ange blanc vers le téléphone.

 

Encore une fois un hôpital, pas le même mais tout aussi immaculé. Elle refusa qu’on appelle Gabriel, refusa les traitements, refusa de rester. Elle devait retrouver Daniel, cours, vole petite fleur, le papillon est en danger. Mais ils ne voulaient pas la laisser s’évanouir dans la nature.

Madame Rolland avait appelé les pompiers en la voyant en pleine crise. Mais comment lui expliquer que c’était son seul moyen de communication avec un Daniel disparu depuis trop longtemps et, il fallait bien se l’avouer, par sa faute ? Si elle n’avait pas voulu jouer avec lui, le tueur ne l’aurait pas pris pour cible à son tour…

Plus elle y repensait, plus cela lui paraissait étrange. Pourquoi un tueur l’aurait-il pourchassée ? Pourquoi elle ? Serait-ce une hallucination due à l’épilepsie ? Et la grotte aux rêves bleus… Non, la grotte était bien réelle, elle en était sûre, Daniel y était avec elle. A moins que Daniel ne soit mort et qu’il fasse lui aussi partie de son délire de crise.

Mais pourquoi cela recommençait-il quinze ans après ?

 

« Amnésique ! Tu es amnésique ! »

Elle n’avait pas pu s’empêcher de le crier au vide qui l’entourait. Daniel n’était pas là, elle était donc lucide. Il était amnésique ; c’est pourquoi il n’avait pas pu rentrer chez lui après l’accident. Mais quel accident ? Que s’était-il passé ?

Daniel apparut brutalement au bout de son lit, son regard vert pointu se faisant encore plus sérieux qu’à son habitude.

« Non, pitié, empêche cette crise…

- Il faut que tu te souviennes. »

Elle replongea sous la surface du lac, se dirigeant vers la grotte aux rêves bleus.

 

Le temps semblait s’être arrêté dans la chambre. Plus aucun bruit, les moniteurs étaient tous en pause. Daniel attendait son compte-rendu. Le souffle court, elle chercha ses mots un instant.

« J’ai eu une crise dans la grotte. Tu étais désemparé. Tu as essayé de me retenir et là… Il est arrivé. Ta tête a cogné un rocher et il a cru que tu étais mort. Il m’a regardée et je me suis enfuie, parce que moi aussi je te croyais mort…

- Pourquoi nous courait-il après ?

- Je ne sais plus.

- Il ne nous courait pas après.

- Si !

- Non. Il courait dans ta tête. C’est toi qui m’as poussé sur ce rocher en te débattant dans ta crise. Et je me suis réveillé seul, perdu et amnésique dans la grotte aux rêves bleus.

- Non… »

Daniel s’approcha d’elle tout doucement et l’embrassa avec délicatesse sur le front.

« Trouve-moi, petite fleur. Cours, vole. Je t’attends. »

Les sons résonnèrent à nouveau dans la chambre et l’assourdirent alors que la silhouette du jeune homme s’estompait, comme rongée par la lumière qui filait en fuseau depuis la fenêtre.

 

Son encéphalogramme était satisfaisant, elle n’avait pas fait d’autres crises en une semaine durant laquelle elle avait patiemment rongé son frein. Si elle avait brusqué les médecins, ils l’auraient retenue prisonnière plus longtemps encore. Et elle ne devait pas gaspiller son temps.

La question de savoir par où commencer ne se posa même pas à son esprit : il fallait retrouver la grotte aux rêves bleus, la grotte de l’accident.

Elle passa chez elle chercher quelques affaires pour entreprendre l’expédition. La porte était ouverte.

Méfiante, elle ne put s’empêcher de penser à l’ombre noire qui lui courait après dans sa tête. Mais il n’y avait que Gabriel qui attendait dans la cuisine, furieux.

« Où étais-tu passée ? »

 

Les cris résonnaient encore dans sa tête lorsqu’elle prit la dernière sortie avant d’arriver au village qui hébergeait ses souvenirs d’enfance. La discussion avait été assez houleuse avec Gabriel, quoique brève. Ils ne s’étaient pas séparés en très bons termes mais Gabriel était quelqu’un avec la tête sur les épaules, il ne ferait rien d’insensé.

Le cœur battant, elle roula au pas dans les ruelles vidées par la nuit tombante.

Sa voiture s’engagea dans les sentiers forestiers et s’arrêta au commencement d’un petit passage dans les broussailles, toujours emprunté par les gamins du coin qui se rendaient au lac.

Ses pieds la portèrent tout naturellement sur la piste, puis changèrent soudainement de direction, coupant à travers les ronces vers la gauche. Elle tourna une nouvelle fois brutalement à gauche et un peu plus loin à droite, puis se mit à courir. Le noir la cernait mais elle ne voulu pas allumer sa torche ; elle aurait reconnu l’endroit les yeux fermés.

Ce qui était auparavant une clairière était à présent une place touffue où de jeunes arbres s’élançaient vers le ciel obscurci. Mais l’Entrée était toujours là.

Elle se faufila dans le trou où la terre laissait place à la roche.

 

La grotte aux rêves bleus. Elle existait vraiment, elle avait toujours été là. Elle caressa timidement les pierres aux reflets vert d’eau mais leur toucher n’avait pas changé, toujours cette sensation d’avoir pénétré l’antre d’une ondine ou d’une sirène.

Pas besoin de lampe, l’endroit était clair, baignant dans une lumière douce dont on ne pouvait identifier la provenance. Craintivement, elle s’approcha du lieu de l’altercation, des roches où Daniel avait souffert de sa maladie des neurones, de sa folie médicale.

Une tache brunâtre luisait faiblement dans la pauvre clarté bleuie de la grotte. Mais pas de Daniel. Lentement, son regard monta sur le sol légèrement humide. Pouvait-elle trouver des traces de la route qu’il aurait pu emprunter, quinze ans plus tard ?

Une chaussure abandonnée et sa semblable quelques mètres plus loin lui répondirent.

 

Elle s’arrêta à l’air libre, essoufflée. La remontée de Daniel avait été particulièrement pénible et longue, le jour se levait pratiquement sur la forêt de ses souvenirs. Mais elle n’était pas au village, même pas près du village. Elle ne savait pas où elle était.

Elle se redressa et continua sa route, jusqu’à parvenir sur la place d’un hameau dont les rues semblaient désertes, où se dressait un troquet déjà ouvert pour cette heure matinale.

Elle y commanda un thé et s’installa au bar, les tables pourtant nombreuses étant déjà toutes occupées par la population locale.

Prise d’une inspiration soudaine, elle se pencha vers le propriétaire.

« Excusez-moi… Y aurait-il un hôpital, près d’ici ?

- Pourquoi, vous êtes malade ? On a un très bon médecin, il soigne bien, il vous prescrit pas tous ces saloperies de drogues qu’aujourd’hui…

- Non, je cherche un ami, mais je me suis un peu perdue… »

Elle ricana, mal-à-l’aise.

« Je suis pas du coin, vous voyez, et il m’a demandé de venir le chercher, il devait sortir aujourd’hui. Si je suis en retard… 

- Ah ça, chuis désolé ma p’tite, on n’a pas d’hôpital dans le coin, ça non.

- Ah. »

Elle ne put cacher sa déception au patron qui ajouta tout de même.

« Mais on a un asile, ça oui ! On a des fous juste à côté de chez nous ! »

Elle régla sa consommation en vitesse sans y avoir touché et courut dehors, avant de se rendre compte qu’elle ne savait pas où aller.

Un vieillard de la providence l’aborda.

« Vous avez l’air pressée, ma p’tite.

- Monsieur, est-ce que vous savez où est l’asile ? Je cherche un ami et…

- L’asile des fous il est à quinze bornes mam’zelle ! Ça va vous prendre des lustres à pieds, n’avez pas de voiture ?

- Non, je n’ai pas pu la reprendre…

- Et vous êtes venue à pieds depuis où ? »

Elle resta un instant silencieuse. Puis, sans savoir pourquoi elle raconta son histoire à ce bonhomme débarqué d’un temps où les gens voulaient à tout prix rendre service.

A la fin de son récit, il hocha la tête.

« J’aime bien les belles histoires.

- Mais celle-ci n’est pas belle…

- Elle le sera, quand elle sera finie. J’aime bien faire partie des belles histoires : tenez. »

Il lui jeta un trousseau de clefs puis se détourna d’elle, comme brutalement désintéressé, pour rentrer dans le bar-restaurant. Il s’arrêta un instant avant de franchir les portes.

« Au fait, quand vous aurez fini de l’écrire, cette histoire… Laissez ma voiture sur la place de votre patelin, y’en aura bien un pour me la rapporter. Avec les clefs sur le contact. »

Puis il la laissa en plan, les clefs serrées dans son poing.

 

Elle ne sentait plus aucun de ses membres à cause de l’engourdissement du stress. Elle n’avait plus fait de crise de convulsions accompagnée d’hallucinations depuis son dernier séjour à l’hôpital… Est-ce que voir Daniel dans cet asile ne serait pas encore une fois un délire provoqué par son cerveau fou qui s’auto-électrocutait ? Daniel était sûrement mort, depuis quinze ans…

Elle poussa la porte et se dirigea vers la secrétaire de l’accueil.

 

Est-ce qu’on a des amnésiques ? Oui, bien sûr ; vous savez, on a de tout ici. C’est navrant mais ils sont plus nombreux qu’on ne le pense… les fous. Certains sont amnésiques, d’autres mordent, d’autres encore se tapent la tête contre les murs…

Un amnésique arrivé il y a quinze ans ? Attendez, je vérifie sur mon ordinateur… Vous avez son nom ?

Comment ça, vous êtes sûre que son prénom n’est pas rentré dans ma base de données ?

Mais, comment savez-vous qu’un garçon anonyme s’est présenté voici quinze ans ?

Arrêtez, vous n’avez pas le droit de consulter les données personnelles… mais, où vous allez ? Mademoiselle !

La secrétaire devait sûrement appeler la sécurité à cette heure. Elle n’avait pas une minute à perdre.

Elle poussa avec violence la porte qui ne résista pas plus que ça et, surprise, tomba au sol. Une silhouette assise dans une berceuse Louis XIII et qui paraissait bien réelle se tourna avec une lenteur infinie vers elle. Elle entendit les gardes de la sécurité arriver derrière elle et ils la relevèrent sans ménagement.

« Daniel… »

Le regard vide s’éclaira comme un matin brumeux ; changement que les gorilles remarquèrent eux aussi, sûrement des infirmiers plus costauds que les autres. Ils la relâchèrent alors que Daniel se levait et avançait vers elle, un sourire douloureux accroché comme naguère à son visage fin. Il était grand, beaucoup plus grand que le petit garçon qu’il avait été.

Il se pencha vers elle et chuchota sur un ton craintif, d’une voix rauque qui n’avait pas servi depuis trop longtemps.

« Il est derrière toi. Cours, vole, petite fleur. »

Tremblante, elle encadra sa tête entre ses mains et le força à la regarder dans les yeux, essayant d’esquisser péniblement son sourire d’enfant avec ses lèvres trop émues.

« Il n’existe plus, mon petit papillon. Il ne sert plus à rien de se cacher. »

Le visage de Daniel se détendit.

« Retournons dans la grotte aux rêves bleus. »

 

~Bezuth

Date de dernière mise à jour : 31/07/2016