Prédestinée

Mon quotidien est bien morne. Je suis réveillée chaque jour au lever du soleil, systématiquement. C'est dans notre sang ; mes colocataires ont le même souci. Le repas est servi, nous nous précipitons toutes hors du dortoir, afin de grappiller quelque nourriture, avant que les plus forts ne raflent le contenu de la cantine.

Puis c'est l'heure de la promenade, où chacune essaye de trouver de quoi manger, ne serait ce que des graviers ou de la terre. On part par groupe de deux ou trois, discrètement, afin de ne pas être rackettés par les plus teigneux. Après, c'est quartier libre jusqu'à 19 heures. Et là, à la tombée de la nuit, je rentre lentement dans la prison, comme les moutons que nous sommes tous.

De temps en temps, certaines de mes amies disparaissent. Ici, on sait ce qu'il leur arrive, mais on évite d'en parler aux plus jeunes. On veut qu'elles gardent espoir, parce que sinon, tout le monde serait perdu. Je leur file quelques tuyaux, de temps en temps, pour retarder leur fin inexorable. Mais bien sûr, au bout d'un moment, les petits trucs ne marchent plus.

Quelques fois j'ai l'impression d'avoir une date de péremption qui me colle à la peau, comme les produits de notre société de consommation.

 

Pourquoi je vous raconte ça ? Parce que, aujourd'hui, c'est mon tour. J'ai accompli ma part du job. J'ai même duré plus que mon temps. Place aux jeunettes.

Je vois la hache se baisser. Mais je suis contente. C'était pas rose tous les jours.

 

Dur dur, la vie d'une poule. On y laisse des plumes.

 

~Bezuth