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Schrödinger

Mort ou vivant ?

Mort… ou pas vivant ?

Vivant, je ne peux l’être. Mort en boîte, enfermé sous terre, boîte de Schrödinger, terre noire, boîte à mort, ma mort à moi. Peut-être suis-je encore vivant mais plus pour très longtemps. L’oxygène va s’appauvrir, comme le déclencheur à uranium va certainement tuer le chat si on ouvre la boîte.

Sauf que moi, si on ouvre la boîte, je serais certainement vivant. A moins qu’ils n’ouvrent trop tard. J’imagine bien ce que cela ferait, ouvrir la boîte et me retrouver mort dedans, expérience non-concluante, ils seraient déçus.

Je suis condamné, enfermé pour la liberté de mon esprit et pourtant celui-ci ne parvient pas à s’évader de ses pensées noires qui l’enchaînent au sol. Envole-toi comme un oiseau ! Le chat est mort.

Ou vivant, on ne sait pas, on ne peut pas ouvrir la boîte. Boîte de vie, boîte de mort, roue de la fortune, belle dame aux yeux bandés dont le hasard est la seule distraction qu’elle prête à sa grande amie la vie. Et parfois la mort.

Suis-je mort ?

Mes rêves se mélangent à ma vie dans le noir où ne peuvent que s’abîmer mes yeux, se transformant en néant ; je retrace toutes les sensations que ma mémoire a enregistré avant de me rendre compte qu’aucune ne serait jamais assez puissante pour me prouver que j’ai jamais vécu.

Suis-je vivant ?

Mon cerveau s’emberlificote les réseaux neuronaux tandis que je débloque dans mon cercueil. Je ne sais pas pourquoi, j’imagine la pierre au-dessus de ma tête, et toute cette terre et l’herbe et le ciel aussi, le ciel qui gagne en masse et en présence dans l’optique seule de m’écraser encore plus, de me tuer.

Me tuer ?! Je ne suis pas vivant, ni mort. On ne peut me tuer.

Est-ce qu’on peut tuer le chat dans sa boîte ? Si on la lance ou qu’on l’écrase… Il est condamné de toute façon. Et moi, suis-je condamné ?

Enfermé, condamné, mort-vivant…

 

Les mots tournent en boucle dans ma tête comme un chat en son appartement. Mort-vivant le chat, comment être à la fois mort et vivant ? Comme moi, on ne peut pas savoir, il peut être mort par le poison, le couteau ou la corde, ou vivant, miaulant qu’on le laisse sortir.

Laissez-moi sortir ! J’étouffe. Qu’importe, je suis mort et vivant, vivant parce que je pense donc je suis et mort comme le chat dans sa boîte. Pourquoi m’ont-ils mis en boîte ? Ils m’ont cru mort alors que j’étais vivant et maintenant je vis comme un mort six pieds sous terre dans un cercueil plombé que j’essaie désespérément de faire flotter à la surface de la terre.

La terre est liquide, vous le saviez ? Je l’ai appris récemment, après qu’ils m’enferment, la terre est liquide, liquide, liquide, on flotte dedans mais moi je me noie comme un mafioso chopé à trahir sa famille. J’ai un bloc de béton aux pieds et il prend la forme d’un chat.

 

Le chat m’a griffé et c’est pour ça qu’on m’a enfermé. Je vais mourir, condamné par le tétanos et la boîte de Schrödinger, pauvre chat, je comprends qu’il m’ait griffé lorsque j’ai essayé de l’ouvrir, cette fichue boîte, il ne voulait pas mourir et maintenant c’est moi qui suis emboîté dans ce cercueil plombé à l’uranium, mi-mort mi-vivant.

 

Mais comment peut-on être mort et vivant en même temps ? Je suis un paradoxe, mon visage est défiguré par trois sillons creusés à la griffe empoisonnée à l’uranium et sur mon avant-bras monte la ligne rouge du chargement fatidique. Déchiquetés, mes yeux, mon nez, ma bouche tordue par la souffrance, et pourtant je vois, je respire, je hurle tout seul dans ma boîte contre ma condition de nouveau chat de Schrödinger.

 

Deux faisceaux opalescents appartenant à l’une de mes hallucinations en blouse blanche préférées font la lumière dans mon esprit et je sors un instant en pensée de ma boîte, guidé par le phare salvatoire de ces beaux yeux.

« Monsieur ? Ça va aller ? »

Je ne me lasserai jamais de son minois mignon de chaton surpris, même s’il n’est qu’imaginaire.

« Je suis en boîte mon chaton, en boîte, en boîte… »

Elle sourit, vaguement inquiète et ma peau reconstruit le toucher irréel de sa main sur mon bras.

« Monsieur… Vos enfants vont bientôt arriver… Voulez-vous que je leur dise que vous êtes trop fatigué pour les recevoir ? »

Je secoue la tête mollement en réponse au spectre d’infirmière. Qu’ils viennent ! Ah, les affreux cauchemars ! Toutes dents et griffes dehors, ils se sifflent et se crachent dessus comme des chats de gouttière.

Pourquoi Schrödinger m’a-t-il choisi, pourquoi pas eux ?

Puis je me souviens du visage défiguré, trois griffes lacèrent le nez, les yeux, la bouche, tordant la face en réponse à ma pitié bienveillante.

« Ça va papa ? »

La plus jeune, dernière de la portée, la plus pernicieuse.

« N’ouvrez jamais la boîte, jamais la boîte, la boîte… »

Une lueur de triomphe éclaire ses yeux, bien sûr que non, elle n’ouvrira pas la boîte ! Pourquoi le ferait-elle ? Le minuteur invisible arrive à sa fin, l’uranium va se répandre, pourquoi voudrait-elle s’emboîter, pour me sauver ?

 

Tout s’efface et je ne vois plus que le noir, un noir qui engloutit mes doux songes d’air libre comme un chat gobe une souris. Je suis souris et chat à la fois, mort et vivant, chasseur chassé enfermé dans une boîte qui prend des allures d’hôpital psychiatrique lorsque je laisse mon imagination se débrider.

 

Plus de bride, envole toi ! Envole toi jusqu’au bout du monde, là-bas où c’est tellement loin que jamais on n’en revient. Personne n’aura de chagrin.

La scène est claire, aucun de mes enfants ne pleure et le notaire constate de son air noble que je suis fou. Fou, sûrement ! Je suis en boîte, en boîte, boîte… Le chat d’un Schrödinger placé sous curatelle, un taré de plus dans ce vaste monde, je crois que je préfère encore me tourner et me retourner dans ma boîte comme un mini-lion en cage plutôt que d’assister à ça.

 

Le notaire me parle et je ne répond pas, je ne l’entends pas de toute façon, la terre au-dessus de ma tête me bouche les oreilles aussi sûrement que si je n’avais pas de tympan. De toute façon mes oreilles ont été arrachées par ces trois griffes qui ont labouré mon visage comme pour y planter leurs bacilles de Koch au lieu de maïs. Mais les chats sont carnivores et celui-ci a mangé mes oreilles sans me laisser l’espoir d’entendre un jour autre chose que le fruit de mon imagination.

 

Boîte, boîte, boîte…

En songe, je me redresse comme un forcené ; la ligne rouge a atteint une vitesse fulgurante maintenant, j’ai beau étrangler mon bras elle passe toujours entre la barrière de mes doigts.

Vie, mort, morsure, mort sûre.

« Je veux un traitement ! »

L’infirmière se précipite, n’a pas le temps d’évacuer mes visites fantômes, elle s’inquiète, se demande.

« Mais vous avez déjà pris votre traitement, monsieur… »

Je lui mets mon bras sous le nez, dans le nez et me mets presque à hurler, terrifié d’être enfermé dans une boîte encore plus petite, plus profonde.

« Soignez mon bras ! »

Elle panique franchement, scrute ma peau, ne voit rien.

« Que voulez-vous que je fasse ? Votre bras est normal ; »

Mon doigt suit la ligne rouge et je lâche une prière pathétique dans un soupir.

« J’ai le tétanos. »

Alors mon infirmière de rêve sourit et repose délicatement mon bras contre mon flanc, sur mon lit, dans ma boîte.

« Monsieur… c’est dans votre tête. »

Tu es dans ma tête, ange sauveur !

C’est ce que j’ai dit. Je lui ai expliqué pour la boîte, la boîte, boîte, le chat de Schrödinger que je libère et qui a trois griffes, la malédiction et la ligne rouge qui annonce sa fin, qui monte, doucement, serpent sanguin qui mord mon épaule…

« Depuis combien de temps êtes-vous dans cette boîte ? »

Une éternité, je ne sais pas, il n’y a pas de minuteur à ce déclencheur à uranium qui me rend mort-vivant dans ce monde quantique.

« Ça fait six mois que vous êtes parmi nous, monsieur. Dans le service de soins psychiatriques intensifs. »

 

~Bezuth

Date de dernière mise à jour : 18/08/2016

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