Le bruit d'une cavalcade secoua la tranquillité de la tour vieillissante, rendue toute moussue par le temps et le délaissement. Cela faisait bien longtemps que Madame Victoria avait renvoyé ses domestiques et même la magie la plus élaborée ne parvenait à lutter contre l'envahissement de la végétation, aussi persistante qu'un pic-vert chassant son prochain repas. Une petite bille de pierre dévala à toute allure les marches, poursuivie par une jeune femme à l'air inquiet. D'humeur jouette, la bille s'engagea dans un couloir agrémenté d'un simple panneau Atelier de Madame Victoria, avant de stopper sa course devant une lourde porte renforcée de ferrures.
— Non !
Le cri coupa court à l'hésitation du jouet ; il s'engagea sous le seuil, à l'instant précis où les doigts de Théophilia raclaient le sol dans une tentative infructueuse de l'attraper. Le souffle court, la jeune femme se jeta à terre sans prêter attention à sa robe et colla sa bouche au jour dessous la porte.
— Reviens ! Maman ne doit pas te trouver...
— Je voudrais bien, mais je ne peux pas.
Le raclement d'une chaîne sur un sol de pierre se fit entendre. Puis la petite bille fugueuse refit son apparition, poussée par une main invisible.
— Mais je suppose que c'est à ceci que tu t'adressais ?
Théophilia ramassa la bille enchantée qui couina de jubilation dans le creux de sa main.
— Toujours là ?
Le cœur rendu battant par la transgression de l'interdit, Théophilia tenta de regarder sous la porte, mais ses contorsions n'aboutirent qu'à ajouter plus de désordre à sa tenue. La porte principale de la tour claqua et les pas caractéristiques de Madame Victoria s'engagèrent dans les escaliers. Paniquée, Théophilia se redressa et frotta du plat de la main ses vêtements couverts de poussière. À l'instant où Madame Victoria passait le coin du couloir, la jeune femme se souvint de la bille enchantée et la dissimula dans son dos, se redressant pour faire face à la sorcière.
— Bonjour, Mère.
Les lèvres pincées, Madame Victoria détailla la tenue de sa fille, s'arrêtant sur sa jupe froissée et les traces de poussière la maculant.
— Montre-moi tes mains.
Penaude, la jeune femme tendit ses mains ouvertes à sa mère. L'air dégoûtée, Madame Victoria coinça la petite bille gloussante entre deux doigts et la porta à hauteur de ses yeux.
— Ne t'avais-je pas dit que je ne voulais pas que tu t'exerces à la sorcellerie ?
Sans attendre de réponse, Madame Victoria écrasa la bille enchantée et frotta ses mains pour se débarrasser de ses miettes.
— Tu n'as rien à faire dans ce couloir. Reste dans les parties qui te sont réservées.
Le cœur lourd, Théophilia obéit à la sorcière et quitta le couloir. Dans son dos, elle entendit sa mère déverrouiller les nombreuses serrures et dut lutter contre la curiosité de se retourner pour découvrir l'origine de la voix. Mais la crainte que lui inspirait Madame Victoria fut plus forte et elle s'enfuit dans les étages, loin de la frigidité de sa mère