J3ff frissonna, planté devant l’hôpital qui diffusait en permanence des règles sanitaires et conseils médicaux sur un fond musical exaspérant.
Bienvenue. Rendez-vous programmé ? Urgence ? Visite à un proche ?
Il sélectionna la dernière option et précisa le nom de son amie. Un plan lui fut transmis. Le chemin à suivre clignotait en vert.
Au bout du périple, il rencontra un couple d’âge mûr. Leur regard était rivé sur la vitre teintée qui permettait d’observer l’intérieur d’une chambre.
Excusez-moi ?
L’homme se tourna vers lui, l’air exténué. La femme persistait à dévorer de ses yeux rougis le contenu de la pièce, à la fois soulagée et dévastée.
C’est bien la chambre de Lucie ? Je m’appelle Jeff, je suis un de ses amis.
Sans répondre, l’homme lui désigna la porte. J3ff la franchit, après un dernier regard sur la femme dont les larmes recommençaient à couler.
Il s’approcha de la silhouette recroquevillée sur le lit.
Link64 ?
La jeune fille ne leva même pas les yeux vers lui. Inquiet, J3ff la frôla d’une main hésitante. La réaction de son amie le stupéfia : elle bondit du lit et se réfugia dans un des coins de la pièce, le regard fou. Il laissa retomber son bras, décontenancé. Avant de se plaquer les mains sur les oreilles. De la bouche de l’adolescente sortait une plainte si atroce qu’il était impossible de la supporter. Un infirmier se précipita dans la pièce et quelqu’un poussa J3ff vers la sortie, tandis qu’une aiguille s’enfonçait dans la cuisse de Lucie. Le cri s’arrêta abruptement et le silence qui lui fit suite était assourdissant. Il observa à travers la vitre l’infirmier la porter sur le lit, comme une poupée de chiffon. L’homme à ses côtés, en tenue de médecin, soupira en secouant la tête.
J’aurais préféré ne pas en arriver là.
Que lui arrive-t-il ? Pourquoi elle est comme ça ?
Le médecin se tourna vers les parents de l’adolescente, qui après un instant de concertation silencieuse acquiescèrent.
Elle a été victime d’un attentat.
J3ff fronça les sourcils.
Un attentat ?
Des extrémistes jugent que la communixion est en train de nous déshumaniser. Ils enlèvent des gens au hasard et leur arrachent leur carte Wi-Fi, sans réfléchir aux conséquences. C’est la première fois qu’ils s’en prennent à un enfant.
J3ff frissonna et porta instinctivement la main à la base de sa nuque. Le petit appareil à peine plus gros qu’un dé à coudre glissa sous ses doigts. Il était là depuis si longtemps… J3ff ne parvenait même pas à se souvenir de la greffe. Le médecin soupira à nouveau.
Nous recevons notre carte dès l’apparition de la parole, afin d’apprendre à communicter de manière inconsciente le plus tôt possible. C’est un crime de priver un être humain de cette faculté. D’autant plus que, malgré la plasticité cérébrale, nous ne connaissons pas encore les conséquences d’une ablation brutale de la carte Wi-Fi sur le cerveau, ni même si les victimes pourront un jour simplement communiquer à nouveau…
Vous voulez dire… Qu’elle ne peut même plus parler ?
Le médecin secoua la tête.
Son cerveau n’est pas capable de faire la part des choses entre la communixion et la parole. C’est si naturel pour elle… Arracher sa carte lui donne l’illusion d’avoir été amputée de sa langue. La jeune fille que tu as devant toi n’est plus rien qu’un animal.
Le médecin étendit les bras pour englober le couloir d’un geste.
Dans ce service sont rassemblées les victimes de ces terroristes. Certains sont là depuis pratiquement un an et ils n’ont fait aucun progrès notable. Ils sont réduits à manger, dormir, manger…
Mais pourquoi personne n’est au courant ?!
En dehors de l’hôpital, toute information au sujet de ces attentats est censurée. Même si tu essaies de communicter ce que tu sais, les autres ne comprendront pas ; ce sera automatiquement filtré.
La colère étouffa J3ff.
C’est dingue ! On est en danger et personne ne fait rien !
Le médecin fronça les sourcils.
Ce n’est pas ce que j’ai dit. Des recherches sont activement menées pour trouver ces terroristes. Mais ce dossier est classé secret : essayer de le diffuser ne t’apporterait que des ennuis.
Il posa une main sur l’épaule du jeune homme.
Laisse les personnes compétentes faire leur travail. Toi, ce que tu peux faire, c’est être là pour ton amie.
J3ff sentit des larmes de rage perler.
Mais comment je fais ça, sans communixion ?
Le médecin se contenta de raffermir sa prise sur son épaule, sans répondre.