— Ils sont derrière nous, Hector !
— T'arrête pas, Pollie ! Cours !
— Nous devons les défendre !
— Tu tiendras pas toute seule contre eux, arrête de faire l'imbécile et cours !
Je me concentre sur mon propre souffle mais je ne parviens pas à occulter les hurlements de Pollie et Hector qui forment l'arrière-garde. Les Cerbères nous ont retrouvés à mi-chemin de la prochaine cité et ont détruit le canal de décharge juste sous nos pieds. Nous avons dû sauter. Mais Jo n'a pas su prendre suffisamment d'élan et ses vieux os ont fondu dans le lac de flammes du septième niveau. Le grésillement de sa chair nous a poursuivi de son écho le reste de la traversée durant. Nous sommes enfin arrivés à la ville. Mais les Cerbères ont prévu notre arrivée et Dité est déserte, piège se refermant sur nous comme une lampe à griller les moustiques.
Dante reste calme mais il ne peut ignorer les appels paniqués d'Hector qui tente de convaincre Pollie de nous rejoindre.
Seule contre une meute, sans autre arme qu'un pauvre pavé ramassé à même la rue.
La folle.
Mais ne le sommes-nous pas tous entièrement ?
Devant nous, le chasuble blanc du Lynx en fait une cible parfaite pour tous ces chiens piaffant, à l'ombre de ces sombres cahutes, leur impatience de nous exterminer comme la vermine que nous sommes...
Un hurlement déchire le silence qui abrite notre course. Le gamin qui traînait déjà la patte devant moi tente de se retourner. Je l'en empêche, le poussant d'une ruade.
— Pollie !
Les cris d'Hector restent sans réponse. Dommage, j'aimais bien cette fille. Toujours volontaire. Courageuse. Stupidement courageuse. Nos pas résonnent sur les pavés, soupçon de civilisation que les Cerbères ont tenu à faire descendre ici-bas. Mais peu sont ceux qui ont le privilège de vivre autrement que dans la fange qu'ils creusent du soir au matin et du matin au soir. Au final, cette cité, Dité, ce n'est qu'un empilement de niches pour nos gardiens. Soudain, le Lynx opère un quart de tour sur la droite et nous bifurquons à sa suite. Devant nous, une rivière tumultueuse plus noire que le désespoir qui nous cerne. Derrière nous, les hurlements grinçants de la meute à nos trousses.
— Dante...
César transpire l'effroi. De nous tous, c'est celui qui a le plus douté en cette entreprise. Mais il n'a jamais trahi. Il joue juste le rôle de balancier, pour équilibrer cette équipe de bras cassés simplement réunis par la foi, celle que Dante nous a insufflée. Ce dernier pose sa lourde main sur l'épaule de notre incrédule, une main rassurante qui a le pouvoir d'ancrer ce monde d'horreur dans la réalité, tout en le rendant plus acceptable – du moins le temps de notre fuite.
— Ça fait partie du plan, César. Il faut sauter.
Un frisson parcourt le groupe. Il faut nager. Déjà, le Lynx nous jette un étrange regard perçant et retire ses chaussures. C'est un gars bizarre, qui ne parle pas beaucoup. Mais qui est doué pour retrouver son chemin, quelque soit la galerie qu'on lui fasse creuser. Un à un, nous l'imitons. César renâcle, noyé dans la peur.
— Dante, j'peux pas faire ça.
— Fais-moi confiance, mon ami. Il y a le système de remontée mécanique qui...
Les coups de fusils font trembler les parois de la caverne. Sans prévenir, Candide pousse César et le rejoint aussitôt, l'aidant à maintenir la tête hors de l'eau. Ne restent bientôt sur les rives de cette rivière de l'Enfer que Béa et son gosse.
— Qu'est-ce que t'attends, Béa ?
L'enfant se tourne vers moi et je lis une angoisse profonde dans son regard, un sentiment ancré dans son âme – les Taupes ont peur de l'eau... Sans un mot, j'attrape le gamin et le jette sur mon dos, l’emmaillotant dans ma cape pour l’empêcher de se débatte ; il hurle au contact de l'eau, piaulements suraigus qui résonnent dans la galerie.
— Tais-toi, petit ! Béa ! Viens !
Sous notre poids combiné, le mécanisme de remontée se met en route, nous élançant vers le haut sous les yeux ébahis des Cerbères. Dans mon dos, le gamin cesse de se débattre.
Nous nous enfonçons dans la nuit d'un nouveau tunnel.