Des applaudissements sarcastiques résonnèrent dans le local d'entretien où j'avais réussi à tirer le président.
— Bravo, Numéro quarante-deux, quelle performance ! Ils auraient dû t'utiliser en tant qu'acteur, à la place de vendeur !
Je fis face en tremblant à notre leader, maudissant l'insouciance qui m'avait conduit à délaisser mon arme à l'autre bout de la pièce, où se tenait actuellement Numéro un. Il était nonchalamment appuyé sur le linteau de la porte, son genou gauche emmailloté sans aucune ingéniosité dans un morceau de tissu indéfinissable imbibé de sang. Il me désigna à l'aide de son arme, son visage exprimant la même suffisance que Monsieur Forever.
— Je savais que tu viendrais le planquer ici. Et j'ai ordonné aux autres de poursuivre le travail pendant que je m'occupais de vous.
Je le regardai s'approcher de moi jusqu'à me toucher, incapable de bouger. Il colla son revolver sur ma tempe.
— Je savais également que tu nous ferais faux bond. Tu n'es pas comme nous. Tu as été protégé.
— Ne dis pas ça, Numéro un. Je suis comme vous...
La gifle qu'il m'administra à l'aide de son arme me terrassa.
— Tu n'as aucunement le droit de dire ça ! Tu étais vendeur ! On ne t'a pas cultivé pour remplacer les organes de Monsieur !
Comme s'il se souvenait brutalement de sa présence, il tourna son attention vers le président, me délaissant.
— Salut, Forever. Tu te souviens de moi ?
Numéro un souleva son pull, dévoilant une énorme balafre traversant son abdomen, sous les dernières côtes droites.
— J'espère que tu as fait bon usage de mon petit cadeau. Ça fait combien de temps que tu vis sur notre dos ? Cent, cent cinquante ans ?
Le regard de Monsieur Forever resta froid et méprisant, ce qui attisa la fureur de Numéro un.
— Je t'interdis de me regarder avec ces yeux ! Ce sont ceux de Numéro dix ! Ils les lui ont arraché lorsque la cataracte a voilé les précédents !
Son revolver s'agita, prêt à commettre l'irréparable.
— Numéro un...
Sa gueule obscure se tourna vers moi, à quelques secondes de mordre.
— Nous ne pouvons pas le tuer.
Un rictus déforma le visage de mon leader proche de la folie.
— Quand je disais que tu n'es pas un des nôtres...
— Tu es celui d'entre nous qui lui ressemble le plus !
À ces mots, le président s'indigna.
— Vous ne parviendrez jamais à être ne serait-ce qu'un dixième de ce que je suis ! Vous n'êtes pas des êtres humains et c'est à peine si vous êtes des animaux ! Non ! Vous n'êtes pas des animaux, vous êtes des objets ! Des objets que j'ai créés !
La colère de Monsieur Forever sembla doucher celle de Numéro un. Avec un calme inquiétant, il s'agenouilla à hauteur du président prisonnier, ignorant l'hémorragie de son genou blessé.
— Laisse-moi te dire quelque chose, Forever.
Il aplatit d'un geste sec cet épi qui m'agaçait tellement.
— Tes yeux noisette. Tes cheveux bruns et indociles. Ta petite stature. Tu es si banal, Forever. En quoi serais-tu unique alors que nous sommes des centaines à être toi ?
Lentement, il posa le revolver sur la poitrine du président.
— C'est le coeur de Numéro six cent soixante-cinq, pas vrai ? Qui aurait pu croire qu'il tiendrait aussi longtemps ?
Pour lâcher ses derniers mots, il avança sa bouche jusqu'à l'oreille de Monsieur Forever.
— Écoute-moi bien, Forever. Tes créations sont si réussies... que personne ne pourrait distinguer les copies de l'original.
L'écho du coup de feu résonna durant ce qui me sembla une éternité dans le local d'entretien.