Je fais d'énormes progrès en très peu de temps. Je peux à présent marcher et saisir de petits objets. Certains gestes fins me sont encore impossibles, mais mon avancement réjouit toute l'équipe. Même Marc, avec lequel j'étais rarement d'accord, semble émerveillé de me voir encore en vie. Nous n'avions jamais pensé, y compris dans nos rêves les plus fous, qu'une greffe d'esprit soit réussie. Elise repousse les plastiques qui me servent de murs et je lève les yeux du dernier rapport faisant état de mes capacités. Son regard se pose sur mes jambes, croisées comme à mon habitude. Un nuage de tristesse passe sur son visage.
— Qu'est-ce qu'il y a, Elise ?
Aussitôt, un sourire maquille cette expression négative et elle tire une chaise pour s'asseoir devant moi.
— Il faut que tu remplisses les questionnaires de ressenti, Louis.
— Je l'ai déjà fait la semaine dernière.
Le modulateur ne me permet pas de m'exprimer sur un ton plaintif. Un frisson parcourt Elise, et je la comprends. Après tout, je sais à quoi je ressemble.
— Elise... Tu voudrais bien m'apporter un miroir ?
Elle se tend brutalement, inquiète.
— Pourquoi faire ?
Je ne réponds pas, me contentant de la fixer. Après une éternité de silence, elle soupire ; j'ai gagné. Elle sort de sa poche ce petit poudrier que je lui avais offert pour notre anniversaire et me le tend. Sa main tremble. Je me penche sur ce minuscule écran qui me renvoie cette image que je redoute tant. Mes doigts effleurent la joue artificielle et le monstre de Frankenstein dans le reflet fait de même. Froidement, je détaille cette sphère lisse d'émotions qui est sensée représenter mon visage, avec ses caméras incrustées à peu près au centre et dénuées de paupières. Pas de nez, pas de bouche, pas de poils. Juste un microphone et une enceinte.
Curieusement, je ne ressens rien. Elise referme sèchement le poudrier et le robot disparaît, remplacé par ce visage dont autrefois j'admirais la finesse. Mes caméras enregistrent sa bouche aux lèvres sanglantes, son nez délicat, ses longs cils... sans que je puisse la réprimer, ma main s'élance vers cette peau dont mes souvenirs me vantent la douceur.
Mais mes doigts de plastique sont incapables d'en saisir la texture.