Nous marchions vers l’anachronisme que l’agent Marcian avait repéré pour nous, un prototype « d’arme révolutionnaire » en plein cœur de la banlieue londonienne. Pensif, je ressassais notre rencontre avec cet homme si sûr de lui, tout en analysant les réactions de mon équipière.
— Analya ?
— Que se passe-t-il, Al ?
La confusion s’emparait de mon esprit et ma question me parut soudainement si sotte que j’en perdis momentanément la faculté d’articuler.
— Al ? Il y a un problème ?
L’urgence dans sa voix me dota de l’audace nécessaire à mon entreprise.
— Est-ce que l’agent Marcian te plaît ?
Le silence insoutenable qui régna amena avec lui l’horrible pensée que j’avais été maladroit. Pire, même. Blessant. Puis, avec délicatesse, Analya appuya le micro contre sa bouche et je m’abreuvai de toute la richesse de son murmure.
— Nous ne faisons que travailler ensemble, Al. Je veux dire… Lui et moi ne pouvons que travailler ensemble.
— Mais nous aussi, on travaille ensemble.
Je me sentais comme un enfant dont le cœur bat à tout rompre, même son aorte et ses veines caves, et même le péricarde le retenant dans cette cage de côtes si fragiles.
— Ce n’est pas pareil, Al. Tu le sais.
L’amertume que je sentis dans sa voix trouva écho dans mon cerveau.
— Mais si…
Analya fut brutalement interrompue par une petite souris grise qui percuta son abdomen avec tant de force que toutes deux roulèrent dans la boue qui avait été l’espace d’une chute une nuée de flocons de neige. D’immenses yeux verts effarés cherchèrent à fuir tandis qu’une voix vociférante résonnait dans l’air cristallisé par l’action.
— Voleuse ! Attrapez-là, cette petite voleuse !
Un vieil homme aux membres aussi dégingandés que ceux d’un opilione émergea du coin de la ruelle, les cheveux tout autant en colère que lui. Sans réfléchir, Analya attrapa la fillette par le bras et la réprimanda vertement.
— Natalia ! C’est ainsi que je vous retrouve ?! Couverte de boue et dans des vêtements… Seigneur ! Qu’avez-vous donc fait de la tenue que votre père vous avait ramenée de Russie ? Vous l’avez encore cédée à quelque malheureuse ?
Surpris, le vieillard s’arrêta, à deux pas de mon équipière. Mais il se reprit prestement et l’apostropha.
— Madame ! Confiez-moi cette petite voleuse ! Elle m’a dérobé un carnet en cuir de crocodile d’une valeur inestimable.
Prenant un air outré, Analya leva les yeux vers lui.
— Voyons, Monsieur ! La fille de l’ambassadeur russe ne saurait être insultée de la sorte ! Cessez cette mascarade ou nous serions forcés de vous demander réparation !
Indécis, le regard du relieur passait de la petite souris à la dame respectable. Enfin, une lueur de victoire éclaira son visage.
— Sa poche ! Fouillez sa poche, c’est mon carnet qui dépasse de sa poche !
Analya prit un ton sec, presque méchant.
— Ce carnet, Monsieur, est le dernier souvenir que cette pauvre enfant détient de sa mère, paix à son âme. Si vous voulez bien nous excuser, il est intolérable que cette jeune fille passe une seconde de plus en votre compagnie. Mes respects, bien que vous ne les méritiez guère.
Et elle planta là le pauvre artisan désappointé, un sourire chatouillant les coins de sa bouche.