Elle m’a surpris, aujourd’hui. Deux longues semaines sans apercevoir ce conflit quotidien et lorsqu’elle m’est revenue, adieu chevelure souple et brillante comme un rideau de nuit ! Ses cheveux avaient discuté avec une lame de rasoir, celle-là même qui m’avait posé un lapin. La lame l’avait rackettée et s’était enfuie avec toute une brassée de ces épis noirs d’ergot de seigle, que je reniflais autrefois secrètement pour droguer mes narines à ces effluves de LSD.
Adieu, nuit noire et sombre dans laquelle mes doigts plongeaient en pensée à la recherche des étoiles fluo de ses boucles d’oreilles ! Maintenant turquoise et courts, ses cheveux s’ébouriffaient dans tous les sens.
Bleu turquoise ! Cela m’avait offusqué. C’est comme un adieu à tous ces oranges que tu aimais porter et qui choquaient ma rétine délicieusement, la réveillaient le temps d’une discussion avec toi !
« Pourquoi adieu ? », m’avait-elle demandé.
« Mais parce que le orange, ça jure avec le bleu turquoise ! »
Mais non, je m’étais trompé, ses cheveux ne juraient pas avec ses sous-vêtements.
Elle m’a regardé, sérieuse, puis elle a baissé les yeux et murmuré tristement, les bras serrés sur son ventre blanc qui prenait le soleil.
« Je n’aime pas les adieux. »
Puis aussitôt son sourire m’éblouit et sa main passe machinalement dans ses cheveux, écartant chaque mèche de ses doigts fins comme des allumettes, les ébouriffant encore plus qu’ils ne le sont déjà.
Elle ressemble à une allumette, cette fille. Fine comme tout, pas épaisse, pas grande, elle s’enflamme pour un rien ou s’essouffle avant même de commencer. On a envie de la placer entre ses dents et de la mordiller, comme ça, pour faire chic. Comme les gangsters dans les films, ou Lucky Luke et son brin d’herbe. Pas sûr qu’elle se laissera faire. On est sûr de rien avec une fille pareille.
Elle s’est habillée, ma fille-allumette, a passé un jean, a enduit ses paupières de bleu. Je m’attendais à ce qu’elle s’arrête là, qu’on sorte, mais non, elle a recouvert son soutien-gorge orange soleil d’un col-roulé violine.
J’avais oublié le contraste, chaviré que j’étais par l’ensemble magnifique que formaient sur elle le bleu et le orange. Le charme a été rompu par cette immensité sombre de violet et j’en suis resté gris d’avoir été privé du orange gainant son torse.
Plus qu’un sobre ruban noir et on sortait enfin. Elle prit au passage sa casquette noire qui la faisait ressembler à un gosse des rues et son sourire s’agrandit. Mais moi, je ne voyais plus que des taches oranges qui s’étaient imprimées sur ma rétine, comme son foutu manteau de chaperon rouge décoloré par le soleil de ses sourires.
Elle m’avait dit de monter, elle était presque prête pour cette petite promenade prévue depuis au moins tout ça. Choqué par ce bleu subit, je n’avais même pas remarqué qu’elle ne portait pas grand-chose d’autre qu’une chemise noire.
Mais pourquoi l’avoir retirée devant moi ? Pour me prouver que j’avais tort ? Qu’elle était la seule personne sur laquelle le turquoise pouvait demander en mariage le orange ? Que le chaud et le froid n’étaient pas forcément contradictoires, comme le soleil et la mer ? Qu’elle est la fille contrastée…
Je sens bien que cette question me hantera longtemps et elle, elle sera bien trop timide pour y répondre. Timide alors qu’elle s’est payée l’audace de s’affaler à mes côtés sur ma place de tram ! Un bandeau orange ceint mon esprit, il se ressert et je m’essouffle, manquant d’air, scotché par le culot de ce petit bout d’allumette. Croit-elle vraiment que je suis gay ? Ou bien s’aime-t-elle aussi peu qu’elle en distribue son image au premier péquenot du coin, un mec rencontré dans le tram ?
Je la connaissais prude, je l’imagine à présent salope, dispersant sa couleur aux quatre pieux, aveuglant d’autres yeux que les miens de son affront craintif d’oiselle qui bat de l’aile.
Je la déteste comme son foutu manteau, ces contrastes forts qui me tuent et que j’aime parce qu’ils rendent mon monde encore plus gris, encore plus sale. Elle est un monde à elle toute seule.